1914-1944

1914-1927

Joseph Gillain est né le 13 janvier 1914 à Gedinne, un village des Ardennes namuroises situé à 20 km au sud de Beauraing et à 40 km au sud de Dinant. Le père de Joseph, Eugène Gillain (1882-1955), né à Namur, était percepteur des contributions, ce qui l’amena à déménager à plusieurs reprises. La mère de Joseph, Marie Doffagne (1885-1976), naquit à Corbion-sur-Semois, petit village des Ardennes luxembourgeoises sis entre Bouillon et Poupehan. Les parents de Joseph se marièrent à Corbion en 1908; de leur union naîtront huit enfants: Marie (1909), Paul (1911), Henri (1913), Joseph (1914), Albert (1916), Louise (1918), Thérèse (1920) et Monique (1923).

La famille Gillain habitera à Gedinne de 1912 à 1920, Joseph y vivant les événements de la Première Guerre mondiale. En 1920, les Gillain vont habiter à Florennes, ville médiévale au cœur de l’Entre-Sambre-et-Meuse, située à 30 km au sud-est de Charleroi et à 30 km à l’ouest de Dinant. Joseph s’y imprégnera fortement du folklore local, telles les marches militaires et les processions.

   À l’âge de 10 ans, ayant assisté à la Marche Saint-Pierre, Joseph dessine le cortège en entier sur les tableaux de sa classe, ce qui permet à toute la population de découvrir les talents du jeune dessinateur durant toutes les vacances scolaires. Ce fut la première exposition Joseph Gillain !

   À la même époque, Joseph s’intéresse à la bande dessinée. Il découvre « Bicot président de club » dans le Dimanche illustré.  En 1927, Joseph suit des cours chez le peintre et sculpteur dinantais Alex Daoust (1896-1947), qui enseignait son art le jeudi dans une salle communale à Florennes.

1928-1934

   Vers la fin 1927, la famille Gillain s’installe à Châtelet, ville millénaire de la périphérie de Charleroi, au bord de la Sambre. Les parents de Joseph y resteront jusqu’en 1946. En 1928, Joseph Gillain est inscrit à l’École des Métiers d’art de Maredsous, abbaye monastique de l’ordre de saint Benoît fondée au XIXe siècle. L’École des Métiers d’art, ouverte en 1903, avait pour but de former des artisans de haut niveau. On y enseignait l’orfèvrerie, l’émaillerie et le travail du bois (ébénisterie et sculpture). Joseph fréquenta l’école durant trois années, comme pensionnaire. Il y apprend le battage, le montage, la gravure et le patinage. En plus de sa formation scolaire, il suit des cours d’histoire de l’art et de dessin.

En 1931, le Père Laurent Matthieu, directeur de l’École, conseille à ses parents de le retirer « parce que trop artiste […] il réussissait là où il trouvait à mettre en valeur ses dons très réels pour le dessin ». C’est durant cette époque que Joseph découvre les premières histoires de Tintin dans Le Petit Vingtième (1929).  En 1931-1932, Joseph travaille dans un atelier de fabrication de motos; il suit des cours du soir de dessin à l’Université du travail de Charleroi. Ces cours sont donnés par le peintre Léon Vandenhouten (1874-1944) qui a fondé en 1922 le Groupe d’Art Libre. Joseph y fera connaissance de Gustave Camus (1914-1984), peintre expressionniste du terroir wallon.

En 1932-1933, Joseph part pour Bruxelles, où il fréquente l’école de la Cambre le jour et l’Académie des Beaux-Arts le soir. La Cambre, fondée en 1927, avait pour objectif d’améliorer la production des métiers d’art. Joseph suivra les cours d’arts décoratifs enseignés par le peintre flamand Gustave Van de Woestijne (1881-1947). À la fin de l’année scolaire, Gillain exécute une caricature géante de toute l’école. Toujours en 1932, il réalise une douzaine de gravures sur bois qui seront publiées dans « Les Crwès dins lès Bruwères » livre en wallon sur la Première Guerre mondiale édité chez Duculot à Gembloux.

En 1933-1934 Joseph effectue son service militaire de dix-huit mois à la caserne Fonck à Liège.  En 1932, Joseph Gillain avait fait la connaissance d’Annie Rodric (17/03/1917-31/12/1999), sœur de Marcel Rodric, que Joseph avait eu pour condisciple de classe à Maredsous. Les trois jeunes gens vont passer tout leur temps libre ensemble; mais cette merveilleuse aventure sera endeuillée par la noyade accidentelle de Marcel, en juillet 1933, à l’âge de 18 ans. Cela créera des liens très forts avec Annie, qu’il présentera à ses parents en 1936, pour l’épouser le 12 avril 1937.

1935 – 1939

Après un voyage de trois mois en Italie, Joseph travaille inlassablement à des gravures sur bois. Il illustrera, entre autres, la Marche Militaire de St-Feuillin. Cette manifestation, qui a lieu tous les sept ans (depuis 1086), le dernier dimanche de septembre, est une des plus importantes processions religieuses et militaires de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Elle se déroule à Fosses-la-Ville et conduit les reliques de son saint patron à travers bois et campagnes. Fosses-la Ville est située à mi-chemin entre Charleroi et Namur et est voisine de Sart-Saint-Laurent, village natal du grand-père de Joseph, portant le même patronyme (Joseph Gillain 1849-1934). Les gravures faites par Joseph représentent des grenadiers, mameluks, tirailleurs d’Afrique, musiciens volontaires, tirailleurs algériens, zouaves et tromblons, le tout rythmé par les sons des tambours et des fifres.

Quelques semaines plus tard, Joseph est présenté à Madeleine Robiau, une secrétaire de l’hebdomadaire Le Croisé et amie de Louise Gillain, sœur de Joseph. L’hebdomadaire est publié par « La Croisade des Enfants » à Namur, mouvement fondé à la fin de la Première Guerre mondiale en vue de maintenir la paix dans nos contrées. Joseph commencera à illustrer les couvertures de l’hebdomadaire pour « La Route qui monte » une histoire signée Marie de Wailly. Cette première publication a lieu le 1er décembre 1935. Après une vingtaine de semaines, Madeleine lui demande de faire un « Tintin » pour Le Croisé. Et c’est ainsi que naîtra « Le Dévouement de Jojo » dans le n° 33 de La Semaine du Croisé daté du dimanche 17 mai 1936 sous la signature de Jijé, pseudonyme transposant phonétiquement les initiales de Joseph Gillain. Cette première histoire de Jojo sera publiée jusqu’au 26 septembre 1937. Jijé enchaîne la semaine suivante avec « Les Nouvelles Aventures de Jojo », qui prendront fin le 2 juillet 1939.

   Parallèlement à ses premières bandes dessinées, Joseph va également réaliser des magnifiques gravures sur bois qui serviront à illustrer les couvertures des Cahiers Wallons, publication mensuelle fondée par son père, Eugène Gillain, qui souhaite promouvoir les textes écrits en wallons. Ces illustrations seront publiées du premier numéro, en janvier 1937 jusqu’au n° 46 en novembre 1943 (la périodicité étant perturbée durant la guerre). À l’occasion de leur mariage, Joseph et Annie vont habiter à Bouvignes, petit village voisin de Dinant, sur la rive gauche de la Meuse.

A l’âge de 17 ans, il fréquentera le peintre Gustave van de Woestijne, acteur du mouvement de Laethem Saint Martin, qui prodiguait des cours de peinture monumentaleà La Cambre à Bruxelles. Cet apprentissage lui permet de réaliser en 1938 un tableau de trois mètres sur trois, dans l’église de Corbion, représentant trente-cinq personnages du village écoutant Saint Jean-Baptiste prêcher au bord de la Semois.

En avril 1938, les éditions Dupuis lancent l’hebdomadaire Spirou dont le héros est dessiné par le Français Rob-Vel (Robert Velter 1909-1991). Joseph se présente chez Dupuis pour proposer une bande dessinée. L’éditeur l’engage. Il réalisera, dans un premier temps, une vingtaine d’illustrations au lavis pour illustrer un roman, « Le Secret du bagnard », publié dans Le Moustique, hebdomadaire des éditions Dupuis associant les programmes radio et des condensés de romans.

Il poursuivra avec l’histoire de Freddy Fred « Le Mystère de la clef hindoue », sa première bande dessinée dans Spirou qui paraîtra du 6 avril 1939 au 9 novembre 1939. Ayant terminé les aventures de Jojo, Joseph republiera son histoire de Freddy dans Le Croisé sous le titre de « Freddy aux Indes » (juillet 1939-mai 1940 interrompu par l’invasion allemande). En 1938, Joseph réalise également une douzaine de gravures pour illustrer « Les histoires comiques de Kaizer Karl » écrites par le dramaturge bruxellois Michel de Ghelderode (1898-1962). Ces illustrations ne seront jamais publiées. En revanche, l’histoire fera l’objet d’une diffusion radiophonique le 15 septembre 1941 sur Radio-Bruxelles.

1939 – 1944

Durant l’été 1939, Joseph Gillain place sa première grande série dans l’hebdomadaire confessionnel Les Petits Belges publié par l’ordre des Prémontrés dont le siège est l’abbaye d’Averbode située aux confins de la province du Brabant, au nord-est de Louvain (Leuven). La série « Blondin et Cirage » mettra en scène un petit blanc, Blondin, qui croit tout savoir, et un petit noir, Cirage, qui résout le plus souvent les problèmes avec beaucoup d’humour. Jijé aura trouvé sa voie en contant les histoires d’un duo plutôt que de se limiter à un héros unique. Dès la première histoire, Jijé emmène ses héros de l’autre côté de l’Atlantique pour une histoire qui n’est pas sans rappeler le héros d’Hergé. « Blondin et Cirage en Amérique » paraîtra du 16 juillet 1939 au 29 septembre 1940.

Le 26 août 1939, la Belgique décrète une mobilisation générale; Joseph est incorporé au 3e régiment d’artillerie d’Outre-Meuse. Il sera observateur d’artillerie dans un camp à Kapellen au nord d’Anvers (Antwerpen), continuant à dessiner ses planches, qu’il envoie aux éditeurs par la poste.

Après l’histoire de Freddy Fred, Joseph entame « Trinet et Trinette dans l’Himalaya » publié dans Spirou de novembre 1939 à avril 1941. La publication de nombreux hebdomadaires sera interrompue de mai à septembre 1940 durant l’invasion allemande du territoire belge. C’est après cette interruption que Jijé reprend les aventures de Spirou en remplacement de Rob-Vel fait prisonnier par les Allemands. Joseph assurera l’intérim d’octobre 1940 à mars 1941. Il reprendra ensuite le flambeau en 1943 pour L’Almanach Spirou 1944 et animera la série jusqu’en 1946, la transmettant alors à André Franquin.

En 1941, les Gillain, avec leurs deux enfants, vont habiter à Bethléem un quartier des hauteurs de Dinant. Les temps sont durs pendant la guerre; Joseph n’a d’autre choix que de cultiver son propre potager. Pierre Matthews, beau-fils de Jean Dupuis éditeur, lui faire lire l’histoire de Don Bosco (Giovanni Bosco, 1815-1888, fondateur de l’ordre de Saint-François de Sales, les Salésiens) pour en faire un livre. Joseph lit deux autres ouvrages sur le saint homme et entreprend aussitôt de dessiner sa biographie.
Celle-ci sera publiée dans Spirou du 6 février 1941 au 24 décembre 1942.

Pendant ce temps, Jijé dessine également la série Jean Valhardi, personnage créé par Jean Doisy (Georges Evrard) véritable rédacteur de Spirou, animateur du club des Amis De Spirou (les ADS), chroniqueur sous le nom du Fureteur, animateur de jeux, auteur de contes et nouvelles. Jean Valhardi est un enquêteur d’assurances grand et fort, loyal et droit, dont les premières aventures se déroulent en France, puis au Sahara. Jijé lui adjoint un faire-valoir en la personne du jeune Jacquot.

Ayant terminé la vie de Don Bosco, Jijé entame la biographie de Christophe Colomb, publiée dans Spirou du 31 décembre 1942 au 9 août 1945. Il continue également de fournir deux histoires de Blondin et Cirage pour Les Petits Belges, à savoir « Blondin et Cirage contre les gangsters », publié du 27 octobre 1940 au 14 septembre 1941 et « Jeunes Ailes », publié du 12 octobre 1941 au 13 septembre 1942. Cette dernière histoire se passera sans Cirage censuré par l’occupant allemand ! Durant la guerre, Joseph Gillain se montre particulièrement prolifique, illustrant une douzaine de recueils de Spirou, des boîtes de jeux, des calendriers, des cartes postales, des publicités ainsi que de nombreuses couvertures de l’hebdomadaire Les Bonnes Soirées des éditions Dupuis.

suite (1944-1958)